Un éclairage nouveau sur le marché privé des travaux publics : mesurer la part TP lors de la construction de bâtiments

L’activité des travaux publics ne dépend pas uniquement de la commande publique : les maîtres d’ouvrage privés génèrent plus de 14 milliards d’euros de travaux, soit un tiers du chiffre d’affaires du secteur. Ils regroupent les promoteurs et bailleurs privés (pour des programmes immobiliers ou de bureaux notamment), les entreprises industrielles et commerciales, ainsi que les particuliers.

Les maîtres d’ouvrage privés commandent une grande variété de travaux, souvent complémentaires au bâtiment ou à l’activité industrielle : réseaux et raccordements (eau, électricité, gaz, fibre, assainissement), voiries et accès (création de voies internes, parkings, trottoirs, plateformes logistiques, giratoires d’accès), ouvrages de génie civil (fondations d’équipements, ouvrages techniques, bassins de rétention, soutènements), aménagements urbains, etc. Certains acteurs privés réalisent également leurs propres installations énergétiques (centrales photovoltaïques, système de récupération d’énergie industrielles, etc).

Ces opérations mettent en évidence le lien étroit entre construction bâtiment et travaux publics. Chaque programme bâtimentaire mobilise en amont (et parfois en fin de chantier) des interventions de génie civil et de réseaux indispensables à sa mise en service.

Le secteur privé présente une grande hétérogénéité, avec des dynamiques de construction contrastées qui reflètent l’évolution des besoins et des stratégies des acteurs économiques. Plus réactif que le marché public, il se révèle aussi plus volatil, sensible aux cycles économiques et aux décisions d’investissement des entreprises. Ces tendances de marchés sont mesurées en surfaces de permis de construire ou de mises en chanter grâce à la base de données SITADEL.

En 2025, plusieurs tendances se dessinent :

• le segment des bureaux demeure structurellement en tension. Si les immeubles bien localisés et performants sur le plan énergétique conservent leur attractivité, une part importante du parc tertiaire connaît une vacance croissante et s’oriente vers la restructuration ou la reconversion.
• la construction de commerces se concentre désormais sur les formats de proximité et les projets mixtes urbains, tandis que les programmes de grandes surfaces ou de centres commerciaux sont moins prisés.
• la construction de bâtiments industriels et logistiques demeure bien orientée, portée par la croissance des besoins en entrepôts et le développement de certaines activités productives. Néanmoins, le secteur industriel affiche une certaine hésitation, marquée par le report de plusieurs projets en raison des incertitudes économiques et politiques.
• la construction d’hôtels repart progressivement : les projets se concentrent sur les zones à forte attractivité et les établissements à forte valeur ajoutée ou proposant une démarche éco-responsable.
• les permis de construire agricoles sont en hausse, traduisant un cycle de renouvellement du parc bâti, porté par les exigences de mise en conformité environnementale et la modernisation des exploitations.
• enfin, après deux années de crise, le logement neuf montre des signes de reprise, surtout dans l’individuel, même si les volumes restent historiquement bas et dépendants des taux d’intérêt.

De fait, la diversité des dynamiques entre segments rend nécessaire une évaluation distincte du poids des activités de travaux publics dans chaque marché, plutôt qu’une approche agrégée.

La maîtrise d’ouvrage privée dans les Travaux Publics reste mal appréhendée statistiquement, contrairement à la commande publique, bien documentée par les sources budgétaires et les appels d’offres. Les outils existants, centrés sur le bâtiment (surfaces de permis de construire, mise en chantiers) ne permettent pas d’évaluer la part des Travaux Publics associée à ces opérations faute de corrélation fiable entre le coût global des projets bâtimentaires et leur composante TP.

Afin de mieux cerner cette réalité, la FNTP a engagé un travail avec Vecteur Plus, à partir de sa base d’appels d’offres publics. L’analyse porte sur des opérations de bâtiment fortement alloties afin d’identifier les lots relevant des “Travaux Publics” parmi les autres corps de métiers (bâtiment, aménagements extérieurs, VRD…). Lorsque les valeurs d’attribution sont disponibles pour l’ensemble des lots, elles permettent d’évaluer la part des travaux publics dans le coût total de construction.

Ce travail repose sur l’hypothèse que les programmes publics et privés présentent des structures de coûts similaires. Cette approche présente toutefois certaines limites : fondée sur des marchés publics, elle ne couvre pas l’ensemble des typologies de bâtiments. Le segment hôtelier en est exclu, tandis que dans le secteur industriel, les projets recensés concernent surtout des entrepôts logistiques et non des usines, qui relèvent de la maîtrise d’ouvrage privée. Les programmes liés à l’énergie sont également absents du périmètre d’analyse.

Entre 2012 et 2025, plus de 8 000 marchés ont été analysés pour estimer la part des TP dans le coût de construction des programmes bâtimentaires. Celle-ci varie fortement selon le type de bâtiments, de 7% à 17%. Elle reste limitée dans le logement collectif, autour de 7%, et légèrement supérieure dans le tertiaire (7,5%) ou les équipements sociaux et éducatifs (10%). Le logement individuel fait davantage appel aux travaux publics, qui représentent plus de 12% du coût total des opérations. Enfin, les bâtiments industriels se distinguent nettement, avec un poids du TP qui monte à 17%.

Dans un second temps, l’analyse a permis d’identifier plus précisément les spécialités relevant des Travaux Publics au sein des opérations de construction. L’exercice a été mené sur les segments du logement collectif et du logement individuel qui concentrent le plus grand nombre de marchés recensés. Les résultats confirment la prépondérance des travaux de VRD, qui représentent environ 60 % du montant global TP. Ils sont suivis par les terrassements, les travaux routiers tandis que les fondations spéciales ou le génie civil occupent une place moins importante. Dans le logement collectif, les fondations spéciales conservent toutefois un poids significatif, témoignant de la complexité technique de ce type d’opérations.

En s’appuyant sur la structure des volumes de production du Bâtiment en 2023 issue des données de la FFB, il est possible d’évaluer la répartition du marché privé pour le secteur des Travaux Publics selon le type d’opération.[1]

[1] Par simplification, le ratio Travaux Publics est appliqué à la répartition de la production du Bâtiment, alors qu’il devrait idéalement l’être à celle du BTP dans son ensemble. Cette approche constitue donc une approximation, mais elle permet d’obtenir un ordre de grandeur cohérent.

L’étude met ainsi en évidence que la dynamique globale du marché privé de Travaux Publics ne réagit pas de la même manière que le Bâtiment aux variations conjoncturelles, Si en 2023, l’équilibre entre les segments résidentiel et non résidentiel apparaît globalement proche, des différences notables apparaissent par segment entre le logement et le non résidentiel. Les Travaux Publics sont par exemple proportionnellement plus exposés aux dynamiques du logement individuel (42%) et de l’industrie (23% du marché) tandis que leur part est plus limitée dans le logement collectif ou les bureaux. Cette structure spécifique explique des évolutions de marché parfois décalées entre les deux composantes du BTP.